mardi 24 avril 2012

Mon merle a perdu sa vie


Toc.

Un merle d'Amérique, con comme la lune, s'élance vers la fenêtre du salon.

Toc.

Il retourne sur la rampe de la galerie. Revient à la charge.

Toc.

La fenêtre se tapisse tranquillement de la saleté de ses pattes, de la saleté de ses ailes qui frôlent le verre à chaque fois.

Toc.

Bientôt, c'est de l'art abstrait fait à coup de merle qui s'étale sur la fenêtre du salon.

Toc.

Je m'approche de la fenêtre et fait un danse de St-Guy, pour le chasser je suppose.

Toc.

Il revient à la charge, dans la fenêtre de la cuisine.

Je suis chez ma mère. Je la zieute. Elle a le regard vide de quelqu'un qui couvre une dépression.

"Ça fait une semaine qu'il fait ça. J'en peux plus d'entendre ça. Il me réveille à 5h du mat en s'élançant dans mes fenêtres. Ma maison est toute cochonnée."

Moi j'aime bien le mot "cochonner".

Toc.

"J'ai mis des journaux dans mes fenêtres en début de semaine pour qu'il arrête de voir son reflet. Quand je suis revenue du travail, il les avait tout arraché. Je sais plus quoi faire."

Toc.

"Je suis après virer folle..."

Toc.

Je pense à 6 feet under. Quand y'a un oiseau qui cogne dans les fenêtres pendant une triste fête où on entend du Arcade Fire en playback. L'oiseau réussi par entrer deux fois dans la maison. Nat fini par le tuer. Et ça se termine TRÈS mal ensuite.

Toc.

Présage de malheur?

Toc.

Je ne crois pas. On est en pleine saison des ruts. Si ça se trouve, ce con de merle est en train de se cruiser lui-même. C'est le Narcisse des merles d'Amérique.

Toc.

Ma mère m'a appris à respecter le règne animal. À l'aimer. À le protéger.
Quand j'étais petite, on allait prendre des marches dans les bois derrière la maison. Et quand on tombait sur des monts de pommes à chevreuil laissées par des chasseurs, ma mère nous intimait l'ordre de faire pipi dessus. "Les chevreuils viendront pas ici si ça sens l'humain." On pissait alors allègrement, en espérant sauver la vie des cervidés.

Toc.

Aujourd'hui, ma mère et son air de dépression ont téléphoné à mon père et à sa carabine.

Toc.

La carabine de mon père sert principalement à tirer les écureuils qui foutent le bordel dans les tubulures de son érablière. Moi je suis plutôt contre ça, les écureuils morts. J'veux dire, sont chez eux, les écureuils. C'est toi, Papa, qui fout le bordel dans leurs maisons avec tes tubulures.

Toc.

Le merle vise la fenêtre, une dernière fois.

BANG.

Il s'envole vers les cèdres près de la maison.

BANG.

Il tombe, raide mort dans les buissons.
Mon père l'a tiré en plein coeur.
Y'a pas à dire, tu vises bien, Papa.

Mon père se dirige vers le volatile inerte. Le prend par le bout de l'aile droite. Il le soulève vers nous, pour nous montrer que le calvaire de ma mère vient de prendre fin.

Ma mère s'écroule dans mes bras.

"Je suis TELLEMENT soulagée! J'ÉTAIS PUS CAPABLE."

Puis, marmonne dans le creux de mon cou: "C'est bien la première fois que la mort d'une bête me fait plaisir..."





jeudi 19 avril 2012

Une histoire triste

 Mariane, c'est pour toi. Je t'avertis par exemple, c'est une histoire triste.

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"Mon père est mort cette nuit."

C'était presque l'incipit de L'Étranger de Camus: Aujourd'hui, maman est morte.

Sauf que c'était pour vrai de vrai et que ça sortait de la bouche du meilleur ami d'Arno.

Il l'a dit en zieutant mon plancher, en grimpant maladroitement sur mon fauteuil. Il avait un genre de sourire malaisé. La face de quelqu'un qui sait pas trop comment dealer avec ça.

J'ai passé ma main dans son épaisse crinière blonde.

"Pis j'ai juste 9 ans."

Le papa de JD était en chaise roulante. Une fois, j'ai voulu savoir les causes de son état, mais JD m'a répondu sèchement qu'il n'en savait rien. Je n'ai pas insisté.

JD avait déjà fait le deuil d'un papa à quatre pattes qui joue les poneys pour lui. Le deuil d'un papa qui amène fièrement fiston à son travail. Le deuil d'un papa qui coure pour faire voler un cerf-volant.

Un nouveau deuil à faire pour JD.

Le lendemain, petit bonhomme est venu passer la journée à la maison. J'ai délesté sa maman, débordée par les centaines de choses à faire lorsque la mort débarque avec ses grands sabots.

Les gars ont joué à être des gars, par un samedi plein de soleil. Jeux vidéos, se prendre pour des chevaliers, faire des légos, aller au parc en vélo, rire, manger des popcycles au raisin, engueuler le p'tit frère qui suit partout.

Sa maman est venue le chercher vers 16h.

JD a enfilé ses souliers. Des souliers plein de trous, qui bouffent des camions. Sa maman s'est penchée vers eux. On va aller t'acheter des souliers.

Une crise.

Une grosse crise pas belle.

Dehors, j'entendais JD pleurer et crier avec fougue. J'ai regardé par la fenêtre.

JD était assis par terre, au beau milieu de mon allée. Sa mère dépassée, par les évènements tentait de l'enlacer, de lui faire comprendre que bordel, ce ne sont que des souliers.

Elle a fait ce geste propre aux parents exaspérés. Celui de balancer les bras dans les airs en disant "ben reste là". S'éloigner doucement en espérant que l'enfant suive. Mais JD ne suivait pas.

Et je voyais ce drame à deux niveaux se jouer devant ma maison.
JD pleurait-il vraiment ses souliers?
Je ne crois pas non.

Dans les yeux de sa maman, le découragement.